Nouvelle source d’intelligence — le second cerveau
2e partie
Le plus grand des microbiotes est le microbiote intestinal, avec une superficie à plat atteignant près de l’équivalent d’un terrain de tennis. Son énorme population, bien qu’infiniment petite, amplifie nos fonctions digestives et a un impact direct sur notre santé. Aussi, ses tâches ne se limitent pas à la simple fermentation ou métabolisation des produits alimentaires que notre tractus intestinal ne peut digérer.
Les cellules nerveuses et les tissus du tube digestif sont connus comme le système nerveux entérique et ceux-ci sont directement reliés au cerveau et au système nerveux central. Le nerf vague est un nerf crânien important qui relie le cerveau et l’intestin ainsi que d’autres organes. Le microbiote intestinal et les aliments contiennent des métabolites qui communiquent avec le cerveau et le système nerveux central via le nerf vague ainsi que par voies alternatives, y compris l’appareil circulatoire, endocrinien et immunitaire. Donc, pas de bonnes défenses naturelles sans bonne flore intestinale.
Les chercheurs connaissent la connexion entre le cerveau et l’intestin — l’anxiété provoque souvent des nausées et de la diarrhée, et la dépression peut modifier grandement l’appétit. Quand une personne est en situation de stress, cela produit une réaction chimique en chaîne qui perturbe l’équilibre entre les microbes et les neurotransmetteurs. La communication active entre l’intestin et le cerveau se déroule par les neurotransmetteurs, les hormones et les métabolites. C’est un langage que le corps reconnait et comprend instantanément. Selon le médecin Joseph B. Weiss, étonnamment, la majorité des signaux ne sont pas envoyés du cerveau vers l’intestin, mais bien en sens inverse soit de l’intestin vers le cerveau.
L’intestin est très impliqué dans la fabrication des neurotransmetteurs: par exemple, c’est la sérotonine et la dopamine qui permettent aux cellules nerveuses de communiquer les unes avec les autres. Une carence en dopamine, dont 50% se trouve dans le cerveau et l’autre 50% dans l’intestin, peut conduire à la maladie de Parkinson. La sérotonine, elle, influence notre humeur. On la retrouve en proportion de 5% au cerveau et 95% dans l’intestin. D’ailleurs, la plupart des antidépresseurs sont conçus pour augmenter son niveau dans le corps. Voilà pourquoi ce microbiote est reconnu comme le « second cerveau », et nous amène à une compréhension scientifique de ce qui a souvent été décrit comme l’instinct viscéral (« gut feeling») ou l’intuition.
Je vous invite à visionner la conférence « Comment nos microbes font de nous ce que nous sommes » de Rob Knight sur le site reconnu TED talk. Rob Knight est professeur en biologie, cofondateur de l’« American Gut Project » et pionnier dans l’étude des microbes humains et de l’environnement (la vidéo est en anglais avec la traduction en sous-titres français). Voir la vidéo ici.
Un psychiatre de la région de Boston, monsieur James Greenblatt, préconise l’utilisation de probiotiques depuis des décennies dans le traitement de ses patients. Celui-ci a révélé que plus de la moitié des problèmes psychiatriques sont associés à des problèmes intestinaux — et même que dans certains cas, il n’a utilisé que des probiotiques à forte dose combinés à une saine alimentation comme traitement.
Un microbiote en santé est l’équivalent d’un cerveau sain: ce que nous mangeons, le stress que nous subissons ainsi que l’environnement, nous affectent. Le corps humain est en constante symbiose avec son microbiote. La connexion qui existe entre notre corps, nos intestins, notre cerveau et nos émotions affecte notre santé et notre bien-être. Ces nouvelles recherches sur l’évolution des bactéries dans l’intestin, et son impact sur notre comportement, transforment la compréhension et la façon dont nous traitons une variété de troubles de santé.
Nouvelles technologies : transplantation fécale et greffe de selle
Les déséquilibres de la communauté bactérienne dans l’intestin sont aussi associés à des troubles métaboliques tels que l’obésité, les troubles gastro-intestinaux, la maladie de Crohn, la colite ou le C. difficile, les réactions inflammatoires et sous-jacentes comme l’asthme ou le psoriasis; ainsi qu’une foule d’infections résistantes aux antibiotiques.
Lorsque les perturbations du microbiote sont sévères, il peut s’avérer que les probiotiques standards et le régime alimentaire ne suffisent pas. Les médecins se penchent maintenant sur une nouvelle technologie : « la transplantation fécale » ou « greffe de selle ».
Lors d’une transplantation fécale, l’échantillon d’un donneur sain est analysé, on sépare ensuite les matières solides des bons microbes pour créer un liquide de bactéries saines qui sera transféré aux patients par lavements ou colonoscopie. On peut aussi fabriquer une pilule à partir des bonnes bactéries - cette « pilule de caca » sera ingérée par la suite. Une fois implantées dans le côlon, ces bonnes bactéries se reproduisent et colonisent les lieux jusqu’à les faire ressembler à ceux de la personne saine.
Le Dr Thomas Louie, professeur en microbiologie et maladies infectieuses à l’Université de Calgary, se spécialise dans la recherche du Clostridium difficile et de l’écologie de la flore intestinale. Il est l'un des précurseurs de cette pratique depuis de nombreuses années (il y a une foule d’articles à son sujet sur internet). Plus près de nous, cette technologie est utilisée par le Dr Louis Valiquette, un infectiologue au Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke. Il y a aussi un gastroentérologue aux États-Unis, le Dr Darrell Pardi, qui utilise cette procédure au lieu d’utiliser des médicaments à risque, pour aider les gens aux prises avec de sérieuses maladies immunitaires ou inflammatoires comme le diabète, la sclérose en plaques ou l’arthrite. Le taux de succès de cette pratique est de 90 % et ce, partout où cette technique est utilisée. Un microbiome intact peut empêcher le retour de la maladie.
Toutefois, comme dans beaucoup de « découvertes » prétendument révolutionnaires, il appert que ce traitement n’est peut-être pas si nouveau.
On a retrouvé en effet le récit de transplantations fécales réussies dans un manuel de médecine chinoise du IVe siècle, écrit par le médecin Ge Hong, qui prescrivait la « soupe jaune » (une soupe d’excréments) comme remède contre les diarrhées sévères.
Aux États-Unis, dans les années ’50, Ben Eiseman, un chirurgien de l’hôpital de Denver, utilisait déjà les transplantations fécales et publiait quatre études de cas dans la revue scientifique Surgery.
Pour le moment, les autorités de Santé Canada considèrent le procédé encore au stade expérimental et ont déclaré que la procédure ne peut être utilisée qu’avec un donneur de la même famille.
Dans l’avenir, les patients pourront se tourner vers une solution plus directe : l’entreposage, ou « la mise en banque », de leur microbiote en santé via leurs propres excréments et revenir plus tard pour une transplantation ou prendre un comprimé de leur propre flore lorsque cela sera nécessaire. La compagnie à but non lucratif OpenBiome aux États-Unis est la plus grande banque de « selles » et se spécialise dans un service personnalisé du microbiome humain.
Qui sait? Un jour, peut-être, ce service sera-t-il utile à tout le monde? Même pour les gens en parfaite santé...
Le troisième volet à ne pas manquer — tous les trucs et conseils pour reconstruire son écosystème.
Carole Boucher pour la clinique Vitacru